Drogue dure (par Anthony Augendre)

Ils couchent avec des fantômes pour y glaner les secrets de la réussite plastique. Ils illuminent leurs compositions d'éclairs de génie. Ils ; ce sont Brian, Stefan et Steve de Placebo, auteurs d'un nouvel album intitulé "Sleeping With Ghosts", une collection de chansons "mantra" refusant de sortir de l'esprit des victimes qui osent y goûter. Le trio s'est livré pour nous au jeu des mots-clefs, une redoutable méthode pour découvrir les origines, les goûts, les pensées de nos invités.

VirginMega: Chacun à votre tour, vous devez choisir au hasard des morceaux de papier dans cette boïte de Thé. Ces morceaux de papier contiennent des mots-clefs qui doivent vous inspirer des réponses.


(Ndlr: Steve commence le premier)


Nat King Cole

Steve : Je pense qu'il possède la voix la plus incroyable au monde. Et c'était un grand fumeur.

Brian : Il est d'ailleurs mort d'un cancer des poumons.


VirginMega : Nous avons lu que vous étiez transportés par la voix de Nat King Cole.

Steve : C'est exac t! Sa voix est si soyeuse. Le simple fait de jouer une de ses chansons t'enveloppe dans un halo de bien-être. C'est assez étrange. Je pense aussi à Tom Waits et tous ces artistes qui picolent et fument beaucoup. Ils sont loin d'être purs mais ce qui sort de leurs voix, l'est assurément.


VirginMega : Ces artistes n'ont jamais suivi d'enseignement musical. Ils n'étaient pas des professionnels et ont forgé leur propre style.

Steve : Absolument ! Nina Simone, Billie Holiday ont apporté quelque chose de radicalement différent dans la façon de chanter. Elles ne correspondaient pas du tout aux critères de l'époque.

Stefan : Elles ont souffert d'une industrie du disque qui était très misogyne et raciste à l'époque.

Steve : Elles étaient traitées comme de la merde mais elles se sont accrochées à leur art.


PHILOSOPHIE

Brian : Cela me fait penser immédiatement à une chanson d' Edie Brickell and the New Bohemians. (NDLR :Brian chante en duo avec Steve "Philosophy is a walk on slippery rocks religion, is a light in the fog"). Je n'ai pas lu beaucoup. Je ne connais pas grand-chose à la philosophie avec un grand P. Alors je ne pourrais pas me poser et discuter avec toi de Wittgenstein et d'Heidegger. Au lycée tout le monde lisait Nietzsche.

Steve : Je connais quelques amis qui ont suivi des cours de philosophie. C'était des gens biens mais 3 ans plus tard ils ont complètement changé. Ils souffrent du fait de se poser trop de questions. C'est assez dangereux de se torturer comme ça. Tu peux y laisser ta santé mentale.

Brian : Je me pose déjà trop de questions tous les jours, je me demande si c'est raisonnable d'en rajouter avec la philosophie.

Stefan : Je pense que l'on doit apprendre à séparer la réflexion et la réaction au monde qui t'entoure. Il faut penser ou réagir physiquement de façon instinctive, avec modération. Je dis ça parce que je suis suédois.


KITSCH

Stefan : Cela me fait penser à une chanson que nous avons écrite mais qui n'a jamais été produite. Elle s'appelle "Kitsch Objects". Paris a eu une influence sur la création de ce morceau.

Brian : Esthétiquement le kitsch n'est pas si important que ça.

Steve : Mais tu viens de vivre une formidable expérience kitsch la nuit dernière!

Brian : Ah oui c'est vrai! Je me suis retrouvé au Lido pour un gala de charité. C'était totalement kitsch. Il ya avait tous ces gens de la mode qui se pavanaient. Elton John est venu jouer un truc. Je n'avais jamais vécu une expérience de la sorte. C'est exactement l'image que tu peux te faire des nuits parisiennes aux folies Bergères. Le kitsch absolu!


FASHION/Mode

Brian : Nous sommes dans la capitale de la mode non?

Stefan : Je crois que je soigne mon aspect vestimentaire. Je cherche souvent de belles fringues quelle que soit leur provenance. Peut m'importe qu'elle soit l'oeuvre d'un designer ou une collection de chez H&M. Nous avons rencontré de nombreux designers avec lesquels nous sommes devenus amis.

Brian : Nous venons de travailler avec Jean-Baptiste Mondino. C'est notre premier "cross-over" avec la monde de la mode. Mondino a signé la pochette de notre album.


EXPERIMENTATION

VirginMega : Tient-elle un rôle important dans votre processus de création ?

Brian : Oui, toujours. Nous avons débuté avec des claviers cassés, des instruments jouets bousillés et un vieux 4 pistes analogique. On changeait la cassette en cours d'enregistrement ou la vitesse de défilement de la bande pour obtenir des effets bizarres. Les contraintes matérielles finissent par orienter ton style d'expression. Ce qui est très intéressant. Avec les années nos vieux jouets ont été remplacés par des instruments plus coûteux mais notre approche de l'expérimentation n'a pas changé. Tu peux entendre des bricolages sonores sur "Something Rotten". C'est une jam-session qui s'est terminée en une composition.


VirginMega : Brian Eno avait crée un orchestre pour non musiciens dans les années 70.

Brian : Queens Of The Stone Age ont fait la même chose avec leur projet "The Desert Sessions". Ce sont des enregistrements dans un studio aux portes du désert californien. Des musiciens de groupes différents sont venus jouer des instruments qu'ils n'ont pas l'habitude de pratiquer dans leur formation respective. Par exemple, un guitariste va jouer de la batterie, un batteur va chanter.


REBELLION/Rébellion

Steve : C'est toute l'histoire de ma vie. C'est probablement une facette inhérente de la personnalité des membres du groupe. Et ce depuis notre naissance. Il s'agit pour moi d'une histoire de temps et de réalisation de soi. Le fait de ne pas faire les choses comme la plupart des humains. Fonder une famille, et d'autres trucs dans le genre.


SORROW/ Chagrin

Stephen : Le chagrin de perdre un proche. Un bon ami et supporter du groupe est décédé pendant l'enregistrement de " Black Market Music ". Ce fut une période très difficile pour nous. Ce n'est un sujet sur lequel nous avons envie de nous étendre.


BIBLE

Brian : La bible représente une majeure partie de mon passé. J'ai été élevé dans un cadre très religieux. Evidemment j'ai emprunté un peu d'attitude rebelle chez Steve. J'ai quitté l'église à l'adolescence alors que mes qualités de leader étaient reconnues. Mon questionnement sur la sexualité a marqué le début de ma désillusion pour l'église. Mais je suis heureux d'avoir été exposé à l'influence de ce livre, à la richesse de son imagerie, à la folie de son récit. J'ai utilisé des éléments bibliques dans l'écriture de nos chansons, un peu à la manière de Nick Cave et PJ Harvey. Je me sens proche de ces artistes. Et aussi des grands romantiques français qui ont puisé dans l'imagerie biblique.


EROTICISM/ Erotisme

Brian : Tu as toujours les meilleurs mots-clefs.

Steve : Ceci pourrait être mon C.V. :
J'ai longtemps été un trop érotique. Un peu lourdaud du genre " Woooww Fuck ! ", vous voyez ce que je veux dire ? Depuis que je suis dans le groupe, Brian Molko a toujours été considéré comme le roi de l'érotisme. Son ouverture d'esprit sur le sujet m'a pas mal aidé à découvrir de nombreux aspects de l'érotisme. Depuis que je traîne avec les gars de Placebo, j'apprécie mieux l'érotisme qu'il y a dix ans.


LONDON/Londres

Brian : Mary Fucking Poppins.
Mary Poppins, tasse de thé, bouffe de merde: Londres!


David Bowie

Virginmega : Est-ce un genre de parrain ou de vieil oncle?

Brian : Non c'est une tante, en fait ! Tatie David !

Stephen : Notre histoire avec lui est assez incroyable. Il nous a emmenés en tournée avec lui bien avant que notre premier album ne soit sorti. Il avait juste entendu une démo avec " Nancy Boy " qui l'a bouleversé. Nous avons joué devant un public de 8000 personnes grâce à David. Il nous a vraiment soutenus dès nos débuts.


VirginMega : Est-ce étrange de rencontrer une icône de votre adolescence ?

Brian : Le fait d'avoir fait un disque avec Bowie donne l'impression que nous étions obsédés par Bowie. Bien sûr nous aimons ses disques, il a fait partie des artistes que nous avons admirés mais ce n'est une influence majeure sur notre musique. Notre relation avec lui est très particulière. Robert Smith et Ian McCullouch furent bien plus passionnés par Bowie que nous l'étions.


ADOLESCENCE

VirginMega : Tout vient de là !

Brian : Oui c'est vrai. Mon adolescence fut morne, solitaire et ennuyeuse. Je ressentais ce sentiment de ne pas être à ma place. J'attendais que quelque chose d'excitant arrive et bouleverse ma vie. Quand j'ai eu 20 ans, j'ai vécu une seconde adolescence. Avec le groupe j'ai pu exprimer toutes les fantaisies qui m'étaient impossible de vivre lorsque j'étais un gamin timide, solitaire vivant au Luxembourg. Alors mes 20 ans ont été chaotiques, et je sens que je suis passé à travers cette phase de seconde adolescence. Je porte un regard différent sur le monde à présent.


DEAD KENNEDYS

Brian : Quelle chance ! Incroyable ! Dead Kennedys est un de mes groupes favoris. L'album " Fresh Fruit For Rotting Vegetables " avec les titres " Kill The Poor " et " Let's Lynch The Landlord ". J'ai admiré leurs opinions politiques quand j'étais adolescent. Ce fut un excellent catalyseur de mon agressivité. J'ai reçu beaucoup d'énergie grâce à eux. Un groupe de punk hallucinant. Ils s'en prenaient à l'administration de Reagan au début des années 80. Ils furent victimes du "Parents Music Resource Center" de Tippa Gore qui ont instauré le système de censure de la musique. Jello Biafra fut poursuivi par la justice pour avoir diffusé dans ses disques une peinture de HR Geiger, le designer d'Alien, intitulée "Penis Landscape". J'aime aussi les disques de "Spoken Words" de Jello Biafra. J'ai essayé de le sampler. Sans doute allons-nous utiliser ses discours dans le futur.


Anthony Augendre


Drogue dure (par Anthony Augendre)
Type
Interview
Date de parution
2003
Source
VIRGINMEGA
Mise en ligne
28 septembre 2004
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