Rock Sound Août 2006

Peu importe la taille du groupe, les choses ne se passent pas toujours comme prévu dans le Rock n’Roll.

Demandez donc au batteur Steve Hewitt. Ce soir, le trio devait jouer devant 10000 fans  pour l’un de leurs trois concerts italiens. Mais, alors que Rock Sound arrive à l’hôtel Hilton de Rome tard dans l’après midi, les discussions habituelles concernant les prises de son et de l’entrée en scène sont étrangement absentes. Hier, dans un mouvement [..] Steve est tombé dans le tour bus et s’est blessé au bras gauche. Le verdict officiel du docteur mentionnait une entorse, et après s’être battu à coup de tonne de glace et d’antalgiques pour jouer lors du concert de la nuit dernière, les Placebo ont finalement annulé leurs 2 shows suivants pour éviter que Steve ne souffre de dommages permanents.

Comme l’explique Brian Molko, annuler des concerts n’est pas une décision qu’ils ont pris à la légère. « Nous l’avons décidé il y a 2 ou 3 heures, après l’examen complet fait par le physiothérapeute » a-t il déclaré à Rock Sound. « Tu essaies toujours de rester aussi optimiste que possible, mais cela aurait été problématique et injuste que Steve souffre de blessures chroniques. C’est réellement une situation déplaisante parce que jouer est le point culminant de la journée. Ce n’est vraiment pas cool de décevoir 10000 personnes. Cela aurait dû être l’événement du mois pour eux, donc je m’attends à ce qu’il y ait 10000 Romains en colère ».

Pendant ce temps, Steve fait de son mieux pour dédramatiser, même s’il est réellement déçu : « je suis ‘véner’, c’est notre premier gros concert ‘événement’ en Italie en 10 ans et j’ai réussi à tout faire foirer ! Normalement, tu te débrouilles comme tu peux pour jouer même en étant blessé, mais je dois prendre soin de moi. Je suis désolé les fans, mais je suis un peu plus important que vous sur ce coup là ! Et c’est sincère, je ne suis pas comme Morissey ou quelqu’un comme ça qui n’en a rien à foutre d’annuler de temps en temps : je crois que la dernière fois qu’on a annulé un concert, c’était en 96 ou 97 à l’un des V festivals, quand Brian a eu une angine sévère et a fini à l’hosto !! »

D’après Brian, il y a un certain degré d’inévitabilité dans ce genre de choses : « ce sont des merdes qui arrivent. C’est extrêmement éreintant et fatiguant d’être en tournée, donc, après avoir été sur la route pendant un mois, tu es crevé physiquement et ces accidents arrivent ».

Alors ce soir, les Placebo se détendent à la terrasse de l’hôtel - alors qu’ils devraient être en train de jouer en tête d’affiche à la Fiesta de Rome - afin que Steve puisse être en forme pour le festival rock de Werchter en Belgique, prévu dans 3 jours. « Il a jusqu’à samedi pour se remettre » sourit Brian. Il est notre propre Wayne Rooney ! »

Une place(bo) pour les amis.

Aussi mécontents que peuvent être les Placebo de devoir manquer un concert, ils n'ont pas beaucoup d’autres raisons de se plaindre.

À sa sortie en mars, leur cinquième album Meds a réaffirmé le trio comme une force musicale ‘instoppable’, et a été acclamé par les fans et les journalistes comme l’album le plus cohérent et le plus mature qu’ils aient fait.

Au moment où nous écrivons cet article, l’album s’est vendu à 1 million d’exemplaires dans le monde ; et ce chiffre ne pourra qu’augmenter puisqu’ils continuent à tourner. Leur forte présence à tous les festivals d’été européens confirme que les Placebo sont encore très demandés, avec des participations aux événement les plus prestigieux, comme le T in the Park, le festival Danois Roskilde, le festival Espagnol de Benicassim et bien sûr le week-end au Carling.

Demandez-lui s'il est surpris du bon accueil qu’a reçu Meds jusqu’à maintenant, et Brian répond : « tu l’es toujours un peu. Surtout après avoir été si longtemps sous le feu des médias musicaux. Je pense que nous étions plutôt confiants, mais ça surpasse nos espérances ».
Posez la même question à Steve, et lui n’hésite pas : « c’est l’album qui s’est le mieux et le plus vite vendu et c’est mon préféré parmi tous nos albums. Je crois qu’on s’est vraiment trouvé. On est beaucoup plus confortable avec notre identité, avec ce à quoi on ressemble et avec ce qu’on dit et jouons, parce qu’il y a moins de distraction. Le groupe à le feu aux poudres pour l’instant, et cela ne nous a pas pris 6 mois pour arriver à ce niveau. Nous avons atteint ce niveau à notre manière. On a l’impression que physiquement et musicalement, on peut faire ce qu’on veut. En gros, le monde est à nous ».

Nul doute que les Placebo d’aujourd’hui ont une manière différente de voir les choses. Le changement le plus notable concerne peut être Brian Molko qui, loin de rechercher la controverse, est suffisamment assagi pour se moquer de lui-même quand l’occasion se présente et suffisamment futé pour conduire les interviews selon ses propres termes (les sujets tabous concernent son fils, Cody et la manière dont Placebo est dépeint dans les médias).

D’après Steve, il existe une autre raison importante qui explique pourquoi Placebo en est arrivé là jusqu’à maintenant – l’amitié. « J’adore toujours faire partie de ce groupe » dit il. « Les gens n’arrivent pas à croire qu’on traîne ensemble. Pourquoi en serait-il autrement dans un groupe ? » ajoute le bassiste Stefan Osldal.

« Massive Attack ouvraient pour nous l’autre jour et ils nous ont dit : « en vous regardant jouer les mecs, on avait l’impression que vous preniez vraiment du bon temps ». « Bien sûr que oui ! » continue Steve. « Ils nous ont demandé : "vous allez réellement boire un coup et traîner ensemble [après les concerts] ?" Et j’ai dit : "oui, je pense que c’est ça être dans un groupe". On se connaît tous par cœur. On peut dire si l’un d’entre nous est de mauvaise humeur à 100 mètres à la ronde et on sait comment le gérer. C’est comme une famille ».

C’est cette combinaison de confiance en soi et de solidarité qui fait dire aux Placebo que, malgré une blessure au bras, ils atteindront un jour la même ‘aura’ et le même statut que les groupes qui les ont inspirés, à savoir Depeche Mode et les Cure.
« On est sûrement en train d’y arriver, on a juste besoin de continuer à être présents les 15 prochaines années et ce sera bon » plaisante Steve.

« Les Depeche Mode sont là depuis environ 25 ans et nous, on atteint juste la puberté » ajoute Stefan. « Je pense qu’on a fait les choses à notre manière depuis le début ». Steve continue plus sérieusement : « On n’a été que très peu affecté par les modes et l’industrie parce qu’on a le contrôle sur tout ce qu’on fait. C’est la bonne base pour nous de continuer à faire ce qu’on fait. Comme je dis, on prend toujours du plaisir à être un groupe et à faire des concerts ensemble, donc je ne vois pas pourquoi on ne serait plus ensemble dans 20 ans. »

Cet automne, le premier album de Placebo fête ses 10 ans. Alors que la maison de disque a envie de célébrer l’évènement en ressortant une édition collector spéciale, le groupe, lui, est beaucoup moins enthousiasmé par cette idée, comme l’explique Brian. « Ce n’est qu’un exercice marketing cynique fait par une ‘major’ » dit-il en souriant. « On nous a dit : " ça se fait, il faut que vous alliez faire tout ce boulot ". Si on avait le temps on remixerait tout ce putain d’album, mais si on passait un mois en studio avec ces chansons, ça serait pour moi comme la torture de la goutte d’eau ». C’est vrai que les Placebo ont une relation tourmentée avec leurs anciens morceaux. Leur enthousiasme pour les nouvelles chansons de Meds va bien au delà de chiffres de ventes plaisants. Meds est le son d’un groupe qui est finalement devenu ce qu’il voulait être, et, pour Brian, cela signifie traiter leur passé musical comme nous, on traiterait une adolescence difficile ou une ex embarrassante.
« Pour être honnête, je ne pense plus aux albums antérieurs à Sleeping with ghosts » admet le chanteur, « parce que j’essaie de prétendre qu’ils n’existent pas ! pour moi, c’est comme :  "que veux tu dire, je dois jouer cette chanson ? Ce n’était pas moi !" ».
Steve est d’accord :  « on veut continuer à regarder vers le futur. On a déjà eu à revenir en arrière récemment avec la collection de singles (Once More With Feeling) et c’était déjà suffisamment dur. Je pense que les gens sont sentimentaux. C’est comme si quelqu’un te disait : "porte pendant 6 mois les mêmes vêtements que tu portais en 1985". C’est inutile. Ca existe, et ça a été grand en ce temps là. Mais le futur est bien plus intéressant. »
« Il existe ce cliché qui veut que le premier album d’un groupe soit le meilleur » ajoute Brian, « c’est une erreur tellement commune. Ca arrive parfois que le premier album d’un groupe soit le meilleur, mais pour la plupart, ce n’est pas vrai ».
À les entendre aujourd’hui, il semble incroyable que les Placebo aient réussi à réaliser en 2004 le  « Once More with Feelings », à en faire la promotion et à faire les concerts qui allaient avec. Vue de l’extérieur, cet album catalysait plusieurs moments importants dans leur carrière, comme le concert à Wembley - le plus gros concert qu’ait donné le groupe au Royaume Uni – avec la participation de Robert Smith des Cure. Mais dans le fond, les Placebo étaient en fait impatients de commencer ce qui allait devenir l’album Meds, et Brian décrit la dernière tournée, dont la set list était dominée par les anciens hits, comme faire des reprises du groupe en karaoké. « Je me sentais réellement claustrophobe et sans âme, à rendre les autres personnes heureuses, mais sans pouvoir retirer aucune satisfaction des concerts » explique-t-il. « Tu as souvent l’impression d’avoir tellement évolué en temps que groupe qu’il est difficile de regarder en arrière et de rejouer ces chansons. C’est seulement en ne les jouant plus pendant des années que tu pourras avoir la chance de les rejouer par la suite. C’est la seule façon de les dissocier de tes sentiments négatifs. Ensuite, quand tu tombes dessus par accident, tu peux leur retrouver du charme et les réessayer. Mais tu peux vraiment te dégoûter d’une chanson – qu’elle soit bonne ou non. Tu as vraiment besoin de jouer une musique avec laquelle tu te sens en phase, afin de pouvoir communiquer des émotions et ainsi, de ressentir quelque chose de fort. Alors, il n’y a vraiment rien à dire à propos de ce dixième anniversaire. Pour nous, sa seule signification, c’est que nous sommes toujours là ».


Rock Sound Août 2006
Type
Interview
Date de parution
Non communiquée
Mise en ligne
14 août 2006
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