Black Market Music - Découvrez l'album
Musique au marché noir ? Bilingue notoire, le chanteur aurait-il songé à son public francophone en suggérant ici qu'il en avait encore sous le manteau ? Une proposition contextuellement irrecevable mais qui, de toute son oblique trivialité, a le mérite de résumer assez fidèlement la relation qui nous lie à ce groupe depuis déjà quatre ans. Car il faut bien avouer que jusqu'ici, la musique de Placebo ne nous a jamais autant passionnés que lorsqu'on ne l'écoutait pas. Soit, à volume maximum, la tête contre les murs, seule façon d'échapper au baiser vénéneux de ces Nancy boy ou You don't care about us et d'oublier qu'ailleurs, ces guitares un peu trop blanches n'auraient probablement pas eu le privilège de quitter la platine avant qu'on leur ait passé le manche au cirage. La bonne nouvelle, c'est qu'à ce dégoûtant petit jeu, Placebo ne dispose plus aujourd'hui de rival à sa hauteur. Une évidence qui, dès les premières mesures du sourd et terriblement sensuel Taste in men, se muera très vite en certitude : condamné à s'épanouir entre les murs d'une prison de son dans laquelle il s'est lui-même enfermé ("On n'échappe pas à la gravité", ironise ainsi Brian Molko sur Special K), Placebo n'a d'autres choix que d'accélérer ses tempos pour en lézarder les fondations et de pousser le volume pour en faire voler les cloisons en éclats. L'entreprise est de taille, mais le groupe n'a jamais été aussi bien armé pour envisager de la mener à terme : ainsi canonné de l'intérieur, l'édifice finit donc par se fissurer, laissant alors Placebo respirer, oser même des tempos inédits. Et imaginer (maladroitement parfois, quand sur Haemoglobin, il ressort du placard sa panoplie mitée de Nosferatu) ce que pourrait être son futur proche à l'extérieur : celui d'un collectif hip-hop old-school curieusement ferrugineux derrière les rimes amères du surprenant Spite & malice ou, plus prosaïquement, celui d'un groupe qui ne sait pas encore qu'il vient de se réinventer dans les arabesques synthétiques du somptueux Black-eyed. "I'm scared", livre en post-scriptum Brian Molko sur le dernier titre de Black market music. Il n'a pourtant jamais eu autant de raisons d'être confiant en l'avenir.
Frédéric Valion, Les Inrockuptibles, 10 octobre 2000.
Frédéric Valion, Les Inrockuptibles, 10 octobre 2000.